Miria II
Miria
II
Claudia
se glissa lentement dans la cavité où demeurait Miria, soulevant le
lourd rideau qui en barrait l'entrée. Le camp avait été édifié sur un
énorme rocher percé de toutes parts, trônant dans la luxuriante et
étouffante verdure de la jungle. Elles avaient construit de hautes
barricades autour, pour se protéger des créatures sauvages et logeaient
dans les multiples anfractuosités du roc, aménagées au gré de leurs
rapines.
Miria somnolait, gisant sur sa couche de fourrure et de
brocart mêlés. Elle était nue et sa chevelure sombre se déployait
autour d'elle en une nimbe fuligineuse. Sa figure paraissait sereine et
elle respirait calmement. Claudia s'en approcha, à pas de loup, et vint
s'asseoir au bord de la litière chatoyante, fascinée. Elle s'éveilla en
sursaut, saisissant d'une main brusque le poignard qui trônait sur le
guéridon de bois sombre attenant au lit. La contemplatrice eut un
mouvement de recul, se levant et s'écriant :
"Ce n'est que moi ! Ce n'est que moi !"
Miria
ne mit guère de temps à réaliser qu'il n'y avait aucun danger et reposa
l'arme en silence, inclinant la tête pour excuser sa brusquerie. Puis
elle la questionna avec flegme :
"Que se passe-t-il ?", ses chasseresses n'avaient pas pour habitude de troubler son repos et ne le faisaient qu'en cas de crise.
"Une envoyée des talunas voisines... Elle n'a pas l'air content."
Miria
expira profondément. Leurs relations avec les talunas d'à côté
n'avaient jamais été simples... Pourtant, un accord entre elles était
nécessaire. Si elles venaient à guerroyer les unes contre les autres,
tout était perdu. Elle descendit de sa couche, sans plus un mot et
enfila rapidement une tunique de lin blanc puis enserra sa taille fine
d'une ceinture de cuir noir à laquelle elle fixa, dans l'étui prévu à
cet effet, le poignard dont elle ne se séparait jamais. Puis, toujours
silencieuse, elle indiqua à Claudia de la suivre et sortit de sa
tanière. Elle se laisse glisser le long de l'échelle branlante qui
permettait d'accéder à son antre et se retrouva face à la taluna, au
pied du roc, entourée par six de ses chasseresses. Elles semblaient
embêtées. Miria scruta quelques instants la sauvageonne : elle était
vêtue de peaux de bête, assemblées de façon anarchique sur son corps
athlétique, sa chevelure bistrée était divisée en une multitude de
petites tresses agrémentées de perles de bois, son teint était hâlé.
Elle la salue d'un élégant signe de la tête, ne la quittant plus du
regard. Ses compagnes délaissèrent l'envoyée pour venir l'entourer.
C'est alors que, rompant le silence de sa voix harmonieuse, elle
demanda :
"Que nous veux-tu, taluna ? Notre arrangement ne convient plus à ton peuple ?"
La taluna s'avança vers le groupe de femmes et répondit froidement :
"En
effet. Vous allez nous attirer des ennuis, vous nuisez à notre
commerce. Le groupe d'hommes que vous avez pillé et mis à mort il y a
quelques jours venait pour marchander avec nous. Les biens que vous
volez, nous les payons, nous. Vous allez contre l'ordre des choses,
vous allez attirer trop de guerriers ici, et vous nous mettrez ainsi en
danger."
Elle n'avait pas tort. Elles le savaient
toutes. Mais Miria rétorqua, son minois se figeant en une expression
boudeuse, un feu inquiétant envahissant ses prunelles glaciales :
"Tu
as raison, taluna. Nous ne vivons pas de la même manière que vous. Nous
avons décidé de ne plus coopérer avec les hommes. Nous ne faisons pas
les choses à moitié. Pourtant, nous en avons déjà parlé, si je ne
m'abuse. Les hommes que nous avons abattus ont traversé notre
territoire, apprenez à vos clients à l'éviter."
Elle
croisa ses bras blancs sur sa poitrine, effleurant nerveusement l'herbe
humide de la pointe de son pied nu. L'inquiétude accaparait peu à peu
son regard et elle éprouvait la nervosité de ses compagnes, palpable.
"Nos
accords prennent fin ici. Nous nous sommes trompées. Vous êtes un
danger, Miria. Vous êtes des monstres. Dès que l'astre nouveau se
lèvera, nous serons en guerre. Rendez-vous à l'évidence : Vous êtes
seules."
Miria esquissa un sourire torve,
acquiesçant froidement, ignorant les œillades anxieuses que lui
jetaient sans arrêt ses chasseresses.
"Non. Nous ne sommes pas seules, taluna. Nous sommes les premières."
Et elle tourna les talons, inclinant une dernière fois la tête, ordonnant implacablement :
"Raccompagnez-la à la sortie, regroupez vous toutes et rejoignez moi à la salle du Conseil."
(Illustration de Luis Royo)