Miria VII
Miria
VII
Ils
étaient à Port Kar. Port Kar et ses ruelles abruptes fondant sur des
quais grinçants de bois vermoulu, ses bicoques branlantes léchées par
les flots, ses forbans fantomatiques errant de jour comme de nuit à
travers ses venelles enténébrées. Port Kar la marginale, la cité sans
pierre et sa population métissée, ses marchés fiévreux qui regorgent de
toutes les merveilles de Gor, fruits multicolores et nuances infinies
d'esclaves, ribambelles pigmentées sur le port. Port Kar la bâtarde et
ses foules miséreuses, exclues, solitaires, furieuses, ses voleurs et
ses she-urts aux loques flamboyantes et aux pas rapides, ses canaux
sordides où couinent les urts. Port Kar la fabuleusement libre.
"Tu as vécu quelques temps ici, je crois, non ?", demanda Naryal. Ils descendaient une allée étroite, bordée de masures, qui se précipitait sur le port.
"En effet",
répondit-elle. Elle ne semblait pas vouloir en dire plus à ce sujet.
Elle passa une main songeuse sur sa joue droite, effleurant la petite
cicatrice en forme de trident, presque invisible désormais, qui y
reposait. Cette cité était gorgée de souvenirs qui lui étaient précieux.
Ils
avaient décidé d'aller quémander l'aide d'un pirate qu'on nommait
Sacham Faenius, il prétendait appartenir à la Gens Faenia, fameuse
famille de la caste écarlate à Ar. Ce capitaine était assez connu à
Port Kar et sa réputation n'était pas des meilleures. Pour tout dire,
son nom inspirait plus la crainte et la colère que le respect, et il
n'était pas en bons termes avec le premier capitaine de la cité. Mais
ce n'était pas cela qui importait aux yeux des deux amants... Il était
surtout réputé pour être l'un des meilleurs navigateurs de tout le
continent, si talentueux qu'avide de pouvoir et de richesse. Ils était
totalement conscients des risques qu'ils prenaient et ne les
négligeaient pas. Ils avaient tous deux la mains crispée sur la garde
étincelante de leur dague.
Ils atteignirent enfin les docks,
encombrés de personnages étranges, aux costumes parfois bariolés,
recomposés, et à l'air peu avenant. Des rires et de la fumée
s'échappaient depuis la porte ouverte de l'une des tavernes. Ils n'y
accordèrent qu'une attention minimale.
Et, enfin, leurs pas
fébriles les menèrent jusqu'à ce haut navire dans lequel, après s'être
présentés, ils furent inviter à grimper. Puis, l'équipage les mena
jusqu'à la cabine du capitaine. C'était une pièce coquette, meublée
comme le cabinet de travail d'un riche marchand.
Sacham Faenius
était assis, les jambes croisées, dans le fauteuil qui faisait face à
son bureau. Il ne se leva pas. C'était un homme d'une beauté
stupéfiante, si surprenante qu'effrayante. Il avait la beauté de la
glace : éblouissante mais d'une froideur sans pareille. Il les invita à
s'asseoir face à lui et à lui conter les raisons de leur venue. Après
quelques instants de silence, voyant que sa tante ne prendrait pas la
parole, Naryal se décida à répondre au pirate, avant que celui-ci ne
s'impatiente.
"Nous souhaitons apprendre à naviguer,
pour notre bon plaisir, conduire un bateau nous paraît... distrayant.
Nous possédons de grandes quantités d'or. Il va de soit que pareil
enseignement sera généreusement récompensé."
Le
pirate éclata de rire. Il n'adressait pas un regard à Naryal et gardait
ses prunelles sombres posées sur Andopal, qui, lui-même, consacrait son
attention à observer le ciel cendreux à travers l'une des ouvertures de
la cabine.
"Et moi qui croyais que ma réputation
m'éviterait pareilles demandes... Je n'ai pas le cœur à m'encombrer de
deux joueurs qui veulent naviguer pour s'amuser, et même pour tout l'or
de Gor, je n'accepterais pas."
Naryal, déçu et contrarié, balbutiait quelques "mais enfin !",
totalement dépité et ne trouvant pas de solution face à un refus si
catégorique. C'est alors qu'Andopal, que Miria, darda son regard félin
sur le capitaine et déclara, d'une voix pleine d'une assurance
désarmante, souriant d'un air énigmatique :
"Et si, en échange de ce service, cher Sacham, nous vous offrions plus que tout l'or de Gor ?"
Surpris
par un tel sérieux, le pirate plissa les yeux, invitant le joueur à en
dire plus. Déjà, l'avidité illuminait son faciès. Qu'est-ce qui avait,
sur Gor, plus de valeur que l'or ? Et comment, ce riche joueur, reputé
à Schendi, pouvait-il en parler avec une pareille assurance ? Ne savait
-t-il pas ce qu'il risquait à vouloir berner un homme comme lui, un
pirate ? Oui. Il venait d'éveiller son intérêt, plus que jamais... Et,
parallèlement, cet innocent l'amusait.
Mais, habile marionnettiste, Miria lui souffla, de cette voix masculine qu'elle maîtrisait désormais à merveille :
"Vous verrez ce dont il s'agit si vous acceptez et si vous réussissez"
Aucun
être sensé n'aurait daigné accepter telle proposition, qui sonnait
comme la pire des escroquerie, la plus grossière. Mais, comme
lorsqu'elle jouait au Kaissa, Miria avait pris l'habitude de tout
risquer, de tout tenter. Et, souvent, cela marchait. Peut-être fut-ce
plus parce que ce jeune joueur aux traits si féminins, au regard si
poignant, intriguait Sacham, que dans l'espoir d'obtenir un trésor
qu'il accepta.
Quoi qu'il en fut, il conclu avec eux cet accord
irrationnel, marqué par la folie naissante de ces trois ambitieux. Et,
en quittant le navire, les deux amants triomphèrent, se gratifiant
simplement d'une œillade victorieuse.
"Bientôt", murmura Miria, "bientôt, le destin s'accomplira".
(Illustration de Luis Royo)