Etain, du changeling sybarite 2
Etain
Du changeling sybarite
2
"Il n'existe que des contes de fées sanglants. Tout conte de fées est issu des profondeurs du sang et de la peur."
Franz Kafka.
L'enfant
des hommes perdit la vie dans les jours suivant sa naissance, et la
reine de fées se retrouva esseulée et dans l'incapacité de récupérer sa
propre fille, vivant désormais dans un foyer humain -Les fées ont de
sévères lois qui régissent leurs malices. Les fils de la fatalité
firent donc qu'Etain de Maison-Dieu et Nimue s'étaient confondues, dans
les cœurs de deux mères, et que là où deux était nées, une seule allait
vivre.
La gouvernante contemplait, par la fenêtre de
verre sombre, l'ondée qui fondait vers le sol, en une masse éthérée et
translucide dont l'aspect seul faisait éprouver la froideur. Le jour
précédent, un soleil rayonnant avait baigné de lumière et de chaleur
l'austère demeure. L'enfant ébouriffée et agitée, la petite Etain de
Maison-dieu, jubilait et un large sourire s'étendait sur son minois,
lui conférant un air malicieux et satisfait.
"Vous voyez ! Je vous l'avais dit qu'il allait pleuvoir aujourd'hui !", s'exclamait-elle, en sautillant autour d'elle en une attitude narquoise.
Il
était vrai que cela paraissait improbable, le jour précédent. Aucun
présage, aucune levée de nuage, aucun vent capricieux, n'avait laissé
penser qu'une pareille averse pouvait succéder à l'exhibition frappante
de l'astre solaire. Et pourtant, cette petite peste, qui ne savait pas
se tenir en place, que tout ennuyait, qui préférait gambader en forêt
que d'apprendre les leçons que doivent connaître les filles de bonne
famille, avait clairement annoncé ce temps calamiteux, et ce, quelques
jours auparavant, sans avancer la moindre preuve. Elle eut probablement
pensé que c'était là un vilain tour du hasard, si ce genre de
prédiction n'avait pas déjà émergé d'entre les lèvres d'Etain. Mais
cela n'était pas la première fois, et plus le temps s'égrainait, plus
cette enfant de huit printemps la surprenait.
Etain était une
fillette intenable. D'apparence, on l'eut aisément prise pour une
poupée délicate, tant sa peau était claire et sa chevelure soyeuse,
tant son regard était lumineux et ses lèvres brillantes. Mais dès
qu'elle s'animait, elle s'avérait être un véritable diablotin,
bondissante, hurlante, capricieuse, excitée... Oui, décidément, ce
tendron était aussi attachant que détestable.
Les
enfants des fées étaient souvent bien différents de ceux des hommes.
Ils naissaient gorgés d'un savoir magique parfois inconscient. Les
mortels tendaient à croire que les changelings étaient noirauds et
laids, et que cela constituait un critère, afin de déceler ceux-ci. Ils
avaient torts.
L'abime venait de ce que les êtres féeriques avaient
dans la peau cette indépendance, cette sauvagerie, cette quête de
sagesse inconsciente... Souvent, ils ne percevaient leur magie que
tardivement, lorsque la rationalité humaine les opprimaient. Certains
changelings perdirent la vie sans jamais avoir appris ce qu'ils étaient
-point de mort naturelle, les fées vivent des siècles-. Le mystère des
fées reposait sur plusieurs dons qui suscitaient bien des fantasmes
chez les humains : elles pouvaient lire et influer sur la destinée
-pareilles aux Parques-, entraîner mille prodiges et actions
surnaturelles qui touchent à tous les domaines de la nature... Les plus
occultes d'entre elles annonçaient aussi le trépas. Elles étaient les
"fées oubliées".
(Illustration de Marc Brunet)