Vestale sanctifiée 4
La Vestale sanctifiée
IV
Iriam
1
"Quand chez les débauchés l'aube blanche et vermeille
Entre en société de l'Idéal rongeur,
Par l'opération d'un mystère vengeur
Dans la brute assoupie un ange se réveille."
(Charles Baudelaire)
Pour l'ambiance musicale, c'est ici.
Aujourd'hui...
S'ouvre une nouvelle porte. Celle du changement intangible, du frisson
inaccessible, du jeu diabolique entre la fourrure et la chair laiteuse.
La fin était nécessaire, cet achèvement idéal d'une escarmouche vaine
entre l'encre sombre et les paillettes dorées qui refusent de
s'éteindre. L'étincelle -celle d'espoir- fut plus forte que jamais en
ce dernier instant. Puis, vidée de souvenirs, elle est revenue,
différente, égarée, plongée dans le bain nacarat de l'incertitude,
acculée. Elle n'avait rien cherché, trempant dans l'exquise insouciance
de l'enfant qui voit le monde pour la première fois. Elle ne tarda
cependant pas à exhumer le talent fabuleux de ses menottes diaphanes :
celles-ci guérissaient, rambinaient, rendaient la vitalité égarée d'un
simple effleurement qui prenait alors l'éclat diapré de l'azur.
Mais
toujours, les ténèbres veillaient, sinistre lanterne à la porte de
l'aurore, et le danger ne tarda pas à se faire ressentir. Le notus
acrimonieux du destin la poussa vers un navire nébuleux où elle trouva
celui qui, sans le savoir, devint le nouveau gardien.
Le quatrième gardien, celui qui renversera l'ordre établi.
La
silhouette gracile errait sur les quais, ombre malicieuse vêtue d'une
robe de satin noir bordée de dentelle rose pâle, probablement volée à
quelque précieuse demoiselle. Une queue de fourrure noire oscillait
dans son dos, lui accordant un incroyable sens de l'équilibre. Elle
déambulait sur les docks depuis quelques temps, grappillant de la
friture aux pêcheurs locaux et glanant du lait à la taverne du port. Ce
soir là, elle n'avait rien trouvé à marauder et s'était décidée à aller
chercher pitance plus loin. Ses pas -peut-être que ce fut le destin- la
menèrent jusqu'à ce navire, protégé de hauts murs.
Probablement
sentit-il le parfum musqué qui exhalait de la chair laiteuse de la
féline : à peine fut-elle sur le pont qu'il sorti de la cabine dans
laquelle il était afin d'identifier l'intruse.
"Quel est ton nom?", lui demanda-t-il. Elle ne voulait pas le regarder, elle masquait ses prunelles de ses menottes arachnéennes.
"Celui que vous voudrez, je n'en ai pas encore", répondit-elle. C'était en effet un véritable néant que sa mémoire.
"Alors, tu seras... Kitty !" Ainsi fut-elle nommée.
Il lui offrit à manger, ils discutèrent. Il se nommait Iriam. Il
s'avérait qu'il était blessé, à l'épaule, d'une incurable plaie. Elle
sentit qu'elle était capable de l'apaiser, elle avait déjà usé de ses
dons auparavant, au port -expériences pendant lesquelles elle avait
découvert, qu'un usage trop intense de ceux-ci pouvait avoir le
désagrément de la réduire à l'état de chat- . En échange, elle exigea
de lui qu'il la prenne sous son aile. Peut-être avait-il compris dès le
premier instant, qu'elle ne repartirait pas, et qu'elle resterait à ses
côtés.
Elle fut rapidement intégrée dans la Golden Evil Tribe .
Sa douceur, sa surprenante candeur et son attendrissante beauté
contribuèrent à la lier aux différents membres de cette famille de
flibustiers. Elle vivait gaiement, vadrouillant ça et là, guidée par sa
curiosité, souvent accrochée aux bottes de son nouveau protecteur. Elle
soignait ceux des pirates qui en avaient besoin. De jour en jour, un
lien très étroit se tissa entre la féline et son protecteur. Elle
s'attacha aussi à l'entourage de celui-ci, son apprenti, son épouse, et
quelques autres bandits. Iriam était un bien singulier vampire : un
enfant déchu de son innocence mais qui avait conservé l'intégralité de
sa puérilité. Impulsif et parfois brutal, il savait aussi se montrer
tendre et attentionné.
Le chemin de la demoiselle croisa aussi
celui d'une autre innocente : Cérès, féline aveugle aux multiples
personnalités. Elle devint la compagne de jeu de Kitty, qui baignait
dans l'ingénuité la plus totale.
Il l'immobilise dans
ses bras, et plonge impunément sa tête dans le creux de la nuque de la
frêle féline. Ses crocs, dans la chair lactescente, le pourpre du sang,
qui ruisselle, lentement... Elle maugrée. Elle lui en veut un peu
d'être aussi brusque, si peu attentionné. Elle s'affaiblit et peine à
tenir debout, elle oscille dans ses bras, perdant l'équilibre. Il en
profite : il l'allonge sur le sol, se dressant sur elle à califourchon.
Elle ne comprend plus, son cœur s'emballe. Il est comme fou, il
déboucle sa ceinture.
"Tu n'as pas le droit..."
Il
tient des propos incohérents, une étrange démence s'est emparée de lui.
Mais les prunelles de l'innocente brûlent déjà d'un feu protecteur, et
bien vite une singulière aura azurine encercle le malheureux et tue en
lui toute mauvaise pensée. Il s'effondre, toujours noyé dans la
lumière. A cet instant, il voit tout ce qu'elle avait oublié. Il
apprend quelle mission lui est confiée. Elle le réveille, malgré son
trouble, malgré sa colère.
"Je suis le quatrième..."
Il sombre à nouveau.
Lorsqu'il
s'éveilla, elle du lui rappeler ce qu'il avait failli commettre. Il ne
lui révéla rien de ce qu'il avait vu. Croyait-il pouvoir porter ce
fardeau seul ? Ce jour là, plus que tout autre, la féline comprit
qu'Iriam avait besoin d'elle. Elle seule pouvait l'aider à récupérer le
contrôle de son existence...
(Illustration de Tenaku)