Vestale sanctifiée 3
La Vestale sanctifiée
III
Caymh
Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases ;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n'a pas besoin de mots.
(Charles Baudelaire)
Pour l'ambiance musicale, c'est ici.
A
peine la vie lui fut-elle redonnée qu'elle tomba entre les mains de son
nouveau gardien, qui serait aussi son bourreau : Caymh, ce démon
ancestral qui vouait son existence entière à l'exercice du mal. Sans
aucun doute, cette troisième vie fut-elle la pire de la Vierge... Elle
ne fut guère épargnée par celui qui la possédait désormais, et elle
sombra dans une ombrageuse mélancolie. La douleur plissait son front.
La crainte envahissait son cœur. Misérable petite luciole qui s'efforce
de briller encore alors qu'elle a chuté au fond du plus profond des
abimes.
Prisonnière d'une demeure de pierre sombre, elle avait
cependant retrouvé la mémoire pour cette existence, et était donc
parfaitement consciente de la mission qui était sienne. Elle tenta
d'expliquer au démon ce qu'elle était, et, touché par son innocence, le
fait était qu'il s'adoucissait de jour en jour -tout en restant l'être
maléfique qu'il ne pouvait qu'être-. Elle conserva, pendant cette vie
qui fut aussi la plus courte, un espoir et une croyance presque
inébranlables. Mais, sans le vouloir, et parce que son cœur pur ne
pouvait qu'éprouver de l'amour, elle se lia à son redoutable gardien.
Probablement fut-ce cet attachement qui entraîna les quelques doutes
qui vinrent effleurer son esprit...
Et si toute son existence
n'était qu'un mensonge ? Qu'il n'y avait rien à faire contre les
ténèbres rugissantes ? Que vivre innocemment était devenu impossible ?
Qu'aucune puissance ne veillait sur eux, depuis les nimbes célestes ?
Le combat valait-il le coup d'être tenté ? Enchaînée, sans défense, que
pouvait-elle faire ? Essayer de vivre, malgré tout, était-il suffisant
? Devait-elle se donner la mort pour éviter le pire, pour que son corps
et son âme ne soient pas noircis par les feux infernaux ? Ou, au
contraire, devait-elle s'abandonner toute entière à ce brasier
inquiétant ?
Elle vit la souffrance. Elle côtoya la géhenne.
Elle la foula de ses pas légers. Elle apprit ce que c'était, que
d'aimer un monstre, lorsque l'on était digne d'être un ange.
Probablement ne fut-elle jamais aussi éblouissante qu'au cœur de
l'ombre.
"Nous ne contrôlons plus rien... Elle est perdue."
Les trois anciens, autour de leur guéridon d'ébène sculpté, semblaient plus harassés, plus âgés que jamais.
"N'est-ce
pas ce que nous voulions ? Sa survie a un prix que nous ne pouvons
payer. Sa puissance... entre les mains d'un ambitieux..."
Puis,
la Vierge ne fut plus. Son hymen agonisa dans d'épais draps de satin
luisants. Sa fureur, mêlée de tristesse et bercée par une folle
innocence, la firent désirer la mort. Et, sans attendre, usant de cette
puissance si souvent réprimée, elle se jeta dans la lave bouillonnante,
entraînant avec elle celui qui avait provoqué sa fin. Le mal et le
bien, l'ombre et la lumière, se mêlant dans cette masse rougeoyante,
comme à l'aurore des temps, comme à l'apocalypse.
Plus que cinq chances.
"Elle est morte. Ce n'était pas lui."
Il poussa un soupir de soulagement.
"Le quatrième... Les prophéties parlaient du quatrième."
(Illustration de Luis Royo)