Vestale sanctifiée 2
La Vestale sanctifiée
II
Fenrys
Elle ignore l’Enfer comme le Purgatoire,
Et quand l’heure viendra d’entrer dans la Nuit noire,
Elle regardera la face de la Mort,
Ainsi qu’un nouveau-né, — sans haine et sans remord.
(Charles Baudelaire)
Pour l'ambiance musicale, c'est ici
Le vieillard observa longuement la sphère transparente dans laquelle se
succédaient des images, puis, d'un ton serein, il murmura :
"Tout n'est peut-être pas perdu..."
Elle
ouvrit les yeux, trempée de la tête aux pieds, sa chevelure lunaire
dégoulinant sur ses épaules dénudées, l'étoffe de sa tenue alourdie par
une eau glaciale. Ses prunelles félines luisaient faiblement de leur
éclat mordoré, dans la pénombre du port de Nosgoth. Son esprit n'était
plus que néant. Qu'avait-elle été ? Que s'était-il passé ? Elle se
releva avec souplesse, sa peau était étincelante sous les perles
d'humidité qui ruisselaient, longeant les formes sculpturales de son
corps. Deux oreilles pointues perçaient l'épais voile que constituait
sa chevelure opaline.
Elle découvrit peu à peu le nouveau
monde auquel elle faisait face, ignorant tout d'elle, si ce n'est ce
nom mélodieux : Nérissa. Un jour, elle rencontra un lycan du nom de
Fenrys, une brute qui fut curieusement attendrie par la demoiselle et
qui décida de devenir son protecteur, envers et contre tout. Errant à
travers les ruelles de Nosgoth, Nérissa semblait chercher quelque
chose, elle n'hésitait pas à venir en aide à ceux qui souffraient ou
qui étaient blessés et ne parvenait pas à comprendre la violence. On
murmurait que Fenrys n'était jamais loin et que s'attaquer à elle était
devenu risqué. On affirmait aussi que le loup serait allé jusqu'à la
sauver au sein même du château des démons.
Ils vécurent ainsi,
durant de longs instants, errant tous deux. Elle lui apportait la
douceur et l'innocence qu'il avait perdues, il la protégeait, et, sans
le vouloir, il était devenu le nouveau gardien.
La Vierge
consacrée avait réussi son œuvre, au royaume de Sélune : la graine de
la vertu était plantée et ne cessait d'y croître, plante tentaculaire
aux fleurs pâles. La mémoire qui lui avait été prise ne pouvait
empêcher la lumière de triompher en elle, et son dessein
s'accomplissait de lui-même à Nosgoth.
"Notre
but sera bien atteint, j'en suis certain... Les terres où sa
renaissance s'est produite sont l'origine même des maux qui pourrissent
l'ensemble de cet univers. C'est la-bas et nul par ailleurs qu'elle
doit apporter la guérison."
Le second ancien toisa son confrère.
"Pourquoi avoir gâché l'une de ses vies dans nos contrées, alors ?"
Mais,
un jour, le loup disparu. Lassitude ? Peur ? Nérissa se retrouva livrée
à elle-même, et elle tomba entre de biens sombres mains. Celles d'une
terrible démone... Mais le destin était aux côtés de la vierge. Un
combat. Un coup de lame, anodin. Elle ne se sentait plus le courage de
vivre. Elle n'usa point de ses dons de régénération. Et la mort vint se
poser sur front et clore ses paupières de velours, d'une main presque
caressante. Sans son gardien, la vierge ne peut vivre. C'est inscrit en
elle.
"Parce qu'il fallait qu'elle conserve son innocence. Cette vie aura inscrit en elle l'essentiel."
L'autre hocha la tête, visiblement convaincu.
"L'innocence du corps ?"
Le premier éclata de rire. Les bibelots, sur les étagères, oscillèrent.
"Non, celle de l'esprit, celle du cœur. Celle que rien ne peut violer. Celle qu'on ne peut perdre que par sa propre volonté."
(Illustration de Luis Royo)