Phaedra 6.
Les chroniques de Phaedra.
D'une infâme mais sublime courtisane.
L'homme qui, du désert connaît le secret, ne peut vieillir. La mort viendra, tournera autour de la dune puis repartira.
Tahar Ben Jelloun.
... Sixième acte ...
Le vent soufflait avec douceur, élevant les grains de sable en de
petits tourbillons. Elles se faisaient face, si semblables mais si
différentes. La courtisane en fuite et la sauvageonne. Phaedra fixait
impassiblement sa sœur. Les villageois observaient les deux femmes
depuis les petites fenêtres des bâtisses qui constituaient le
caravansérail.
"Je ne pensais pas te revoir un jour."
Phaedra esquissa un sourire un peu triste, le regard toujours extrêmement fixe. Sa sœur n'avait pas changé.
"J'ai besoin d'un refuge. Utilises-tu toujours la maison des parents ici ?"
Elles n'avaient rien à se dire. Si différentes, opposées même. Mais
elles avaient ce même regard lunaire, ce même minois angélique, cette
même expression d'impassible froideur, ce charme terrible, cette beauté
désarmante.
Elle s'attendait à un refus, elle s'attendait à devoir affronter sa
sœur pour obtenir ce qu'elle désirait. Elle lui avait donné rendez-vous
ici parce qu'elle n'avait pas d'autre choix. Elles se vouaient une
forme d'hostilité depuis si longtemps qu'elle la concevait presque
comme une ennemie. Une ennemie précieuse pour qui elle aurait fait
beaucoup. Elles avaient été très proches, lorsqu'elles étaient encore
des enfants, mais le temps avait congédié ce lien qui apparaissait
comme indestructible. Un fossé s'était creusé entre elles.
"Non. Elle est vide depuis leur mort. Mais je doute qu'elle te convienne, toi qui es habituée au luxe..."
La voix de sa sœur était imprégnée de reproche. Phaedra n'en tint pas
compte. A quoi bon ? Elle avait échappé au combat. Décidément, le temps
avait du assagir son froid reflet...
"Ne t'inquiète pas, cela ira."
Elles
se sont séparées, sans un mot. Sa sœur lui fit don des clés, puis
disparu comme une ombre furtive dans les dunes dorées. Elle remonta le
chemin qui menait aux bâtisses du caravansérail, ce carrefours
commercial édifié au bord d'un petit point d'eau qu'elle longea pendant
quelques instants. Puis elle franchit la haute porte de
l'agglomération, faisant fi du regard insistant des habitants qui
l'observaient toujours.
La maison était située dans une petite ruelle. Elle était
particulièrement humble, et la porte de bois épais grinça sourdement
lorsqu'elle l'ouvrit. L'intérieur était sombre, de nombreuses toiles
d'araignées constituaient des réseaux diaphanes entre les meubles
rustiques qui conservaient la finesse et la noblesse d'un mobilier
stygien. C'était le lieu qui l'avait vue naître. Qui les avait vues
naître. étrange retour aux sources.
"C'est ici que je suis née", murmura-t-elle, se parlant à elle-même, "est-ce ici que je vais mourir ?"
... Suite à venir ...
(Illustration de Steven Sweet)