Phaedra 5.
Les chroniques de Phaedra.
D'une infâme mais sublime courtisane.
"Pour leurrer le monde, ressemble au monde ; ressemble à l'innocente fleur, mais sois le serpent qu'elle cache." Shakespeare.
... Cinquième acte ...
Elle se tenait allongée, nue, sur le divan recouvert d'une épaisse
couche d'étoffes satinées et lustrées aux couleurs diaphanes et
jaspées. Une perruque stygienne aux parfums capiteux recouvrait son
crâne, de lourds bracelets encerclaient ses poignets et ses chevilles
nues. Ambiance exotique parfaitement recréée au sein du plus luxueux
des bordels de Tarentia-la-Vieille. La petite porte de bois qui fermait
la pièce s'ouvrit doucement, laissant entrer une jeune femme blonde
légèrement vêtue.
"Il faut que je te parle, Phaedra."
Elle l'observa, silencieuse, quelques instants, de ses larges prunelles ardentes.
"Parle, je t'en prie"
La courtisane contempla sa collègue avant de reprendre la parole.
Phaedra venait de se relever, mettant à jour son impudique mais sublime
nudité, courbes idéales ciselées, au galbe parfait, incarnation
effarante d'une volupté aussi dangereuse qu'irrésistible.
"Ton dernier client, Aloisius, est mort, lui aussi."
Le visage habituellement impassible de Phaedra se troubla, elle
semblait nerveuse, inquiète, soucieuse. Elle sembla réfléchir quelques
instants, avant de répondre, passant un doigt distrait le long du
velours de sa joue.
"De la même manière que les autres, je suppose ?"
Après avoir quitté la Citadelle du cercle noir, Phaedra avait décidé de
vivre en Aquilonie, à Tarentia-la-Vieille, où l'activité des
courtisanes était intense. Par son physique de stygienne, par sa
personnalité intrigante, par sa beauté glaciale, elle parvint
rapidement à se faire intégrer dans la plus chère des maisons-closes de
la capitale. Les premières années s'étaient déroulées merveilleusement
bien, et elle n'avait pas tardé à devenir la plus couteuse des
courtisanes de Tarentia. L'enivrant, la mystérieuse, la sulfureuse
stygienne. L'érudite, la raffinée, la sublime étrangère... Oui. Tout
avait été pour le mieux. Mais, depuis quelques temps, étrangement, ses
amants les plus assidus étaient tous morts successivement d'une manière
tout à fait singulière : mordus par un serpent venimeux. On retrouvait
systématiquement le serpent, mort, à côté du cadavre.
Bien entendu, la belle n'avait pas tardé à faire le rapprochement avec
Thot-Amon. Mais le pouvoir de Set ne pouvait s'étendre jusqu'en
Aquilonie... Le sorcier avait probablement envoyé l'un de ses hommes...
Elle était maudite. Elle avait joué avec le feu et elle s'y brûlait
désormais. Non pas que la mort de ces hommes ne l'attriste, mais elle
se sentait prise au piège. Elle sentait sa précieuse liberté lui
échapper peu à peu, comme une fumée trop éolienne, perdant peu à peu
toute consistance jusqu'à devenir éthérée.
"Oui, exactement de la même manière. Certains pensent que tu es
responsable de ces morts. D'autant qu'ils ont entendu parlé du meurtre
d'Anwar en Stygie."
Phaedra acquiesça d'un geste élégant de la tête. Fuir, toujours fuir...
"Je
vais quitter Tarentia. Je n'ai pas le choix, n'est-ce pas ? N'en parle
à personne, je t'en serais reconnaissante et cela sauverait peut-être
des vies, dont la tienne."
... Suite à venir ...
(Illustration de Dorian Cleavenger)